samedi 12 décembre 2020

Cultiver la brume





Cultiver la brume, c'est comme bâtir des ruines.


Clarice Lispector est une auteure que je lirais bien un de ces jours. Je n'ai pas lu grand chose d'elle, sauf une nouvelle qui m'était parvenue voilà quelques mois via un ami comme on en rencontre rarement, un ami silencieux et d'un autre monde.  C'était Le message, de Clarice Lispector. 
Comme Clarice Lispector, chaque matin, je fume, je bois du café et je tourne en rond. Je n'ai toujours pas trouvé de remède. Je tourne en rond sur ma chaise, immobile. J'écoute le silence et ma respiration. Ma respiration est une méditation et une contemplation d'un sentiment qui mêle vide, nostalgie, mélancolie. J'attends que l'inspiration vienne. J'attends d'être inspirée de vivre.   

lundi 2 novembre 2020

Sur la forêt ancienne, la brume est tombée.






Journal d'une passante dans le re-confinement

 

Réveillée ce matin un peu avant 4h. Café, clope, et par hasard, je regarde une vidéo de Florian Piane, qui prétend mettre en lumière "Tous les mensonges et vérités sur le Covid dévoilés [Manigance - 19 Film]". 


Nous vivons une drôle d'époque où la vérité et le mensonge semblent se confondre plus que jamais. Difficile de voir clair dans ce flot de discours plus ou moins contraires. L'un dit blanc, l'autre dit noir. Les politiques se contredisent, les divers experts en médecine, virologues et épidémiologistes entre autres se contredisent, tout le monde se contredit. Moi-même je me contredis.

Parallèlement aux discours officiels qui s'inquiètent et inquiètent sur les conséquences de la pandémie, s'élèvent des discours qui crient à la manipulation de masse, à la dictature sanitaire et numérique.


Dans cette cacophonie de voix, je tends à ne plus émettre aucun avis, à me taire de plus en plus. Que savons-nous en fin de compte de ce qui se trame vraiment dans l'inconscient collectif ? En tout cas, c'est de nouveau le confinement. Re-confinement. Et dans tout discours, vérité et mensonge s'emmêlent (les pinceaux).


Avant que la sentence ne tombe, j'eus le plaisir d'assister, en compagnie d'un tendre ami, au spectacle Le Jeu des ombres, dans le cadre de la semaine d'Art en Avignon. Le Jeu des ombres de Valère Novarina, mis en scène par Jean Bellorini, a quelque chose d'intemporel dans son évocation du mythe d'Orphée, mais résonne particulièrement, à mes oreilles, avec le vacarme de notre monde actuel.


Si le spectacle propose une réinterprétation du mythe d'Orphée, rythmé par la musique de Claudio Monteverdi, il m'a paru être une métaphore intéressante de la logorrhée excessive que connaissent les utilisateurs et en l'occurrence les commentateurs intempestifs des réseaux sociaux.


Des mots se déversent dans un flot quasi-continuel, des listes de mots sans queue ni tête, des répétitions incessantes, des discours en veux-tu en voilà, des vomissements de paroles, des on-dit crachés et recrachés plus ou moins à la lettre, des mots, des maux, des mots vidés de sens... qui coulent, qui inondent, qui submergent, qui donnent le tournis, la nausée. Tout le monde, ou presque, a son mot à dire, veut se faire entendre, veut exprimer sa liberté d'expression sans limite, veut être visible sur la grande scène du monde, et parle presque sans égard, et trop souvent, sans égard pour autrui. Dialogues de sourds en continu. Sans poésie, ou alors c'est accidentel. Sans beauté. Chacun s’enivre de son propre flot inaudible de paroles.


On en oublie la musique. Peut-être devrait-on se taire plus souvent et écouter la musique du silence : cette musique qui n'a pas la prétention d'un discours sensé, d'un discours qui prend des airs de raisonnements mais qui ne veut plus rien dire, tant il devient, de nos jours, excessif et malade, au bord d'une forme de folie collective, virale, explosive, exponentielle.

On n'écoute plus cette musique intérieure qui nous anime, cette musique - là, présente bien avant les mots et le langage : cette musique qui est comme l'inconscient du langage - belle pensée de V. Novarina.

On devrait, comme Orphée, redevenir musicien, avant de se considérer comme des êtres pensant, car parlant - une déduction trop rapidement faite. Plutôt que de parler à en vomir, on devrait s'en remettre à la musique du monde silencieux, à notre musique intérieure, au plus intérieur, à celle qui s'adresse à l'intime, ou à celle qui prend sa source dans la part la plus obscure de soi, en soi. 

Peut-être alors, peut-être, verrions-nous une lumière au sortir des Enfers.

mardi 29 septembre 2020

Chat mélancolique

 


Quand vous grandissez entouré de fantômes, quand une des deux personnes qui vous a donné le jour est repartie dans la nuit, et que vous ne vous souvenez pas l’avoir vue, ni vivante, ni morte, il en résulte un certain sentiment d’étrangeté au monde qui n’empêche pas la joie, ni les grands bonheurs de l’enfance, mais qui tout de même est là, et tapisse de nuit tout ce que vous regardez. Cela modifie votre façon d’être dans le monde, et je crois que cela crée les conditions d’une écriture : une écriture qui admet la nuit, qui ne refuse pas l’obscur, et c’est ce que je voulais raconter sur la mélancolie.(…) On ne fait pas son deuil, c’est une expression abominable, mais on fait avec le deuil, et on est fait par le deuil. Certains s’en remettent, mais il arrive que d’autres se laissent mourir avec leur mort, dans leur mort, et n’en reviennent pas. Et puis certains en reviennent, mais demeure en eux, une béance, un blanc. 
Sarah Chiche

vendredi 25 septembre 2020

Même

 Le plus autobiographique des écrits est une fiction, autrement dit une affabulation. Quand écrivons-nous vrai ? Y a-t-il une possibilité d'écrire "vrai" ? Ou est-ce toujours un jeu de voilement-dévoilement ? 
Pendant des mois, je suis revenue vers une écriture de l'intime, dans des carnets de papiers, une écriture qui ne s'adresse qu'à soi, qu'aux nombreux personnages qui nous composent. Tout ce que j'observe, c'est l'inconstance : l'inconstance des pensées, des opinions, des sentiments. Tout change et évolue sans cesse, avec parfois des retours en arrière, à une forme de pensée originelle, mais pour mieux la métamorphoser, ou la sculpter, l'habiller de couches successives de mots qui s'ajoutent, se nuancent, se contredisent souvent, et se questionnent parfois. Se relire est donc un exercice étrange, on observe cette étrangeté de soi, cette inconstance de soi, cette précarité d'un moi jamais véritablement uni, un moi qui se décompose ou qui se compose d'un kaléidoscope de voix. On comprend alors que le chemin vers la connaissance de soi se poursuit toujours, on poursuit le chemin jusqu'au cœur des ténèbres : là où la parole se tait, là où règne le silence, le non-savoir, l'absence peut-être, ou une absence peuplée. Le paradoxe.
Ce matin, je lisais une spécialiste de sanskrit et de la culture indienne. Une idée a alors retenu toute mon attention. Dans la culture sanskrite, la parole est d'une importance sacrée : tout naît de la parole. Et parallèlement : du silence naît la parole. La parole prend forme dans le silence, comme elle finit par s'en retourner au silence. 



jeudi 24 septembre 2020

L'automne, toujours

J'habite une saison automnale, une saison des pluies, le fleuve des hommes et des femmes se jetant à l'amer, une tour de Babel, et la forêt ancienne.
J'habite un lieu traversé de langues, de chuchotis et de rumeurs, une langue maternelle dans la peau. J'habite l'automne, toujours. Je suis comme les hommes et les femmes de la rivière, de passage, au carrefour des vents. Je suis née d'une nuit et d'une mousson. Je mourrais peut-être le cœur sec. Je n'aurais plus faim, je n'aurais plus soif, j'habiterai la poussière du temps.



Un automne ancien (2015)

dimanche 26 juillet 2020

Un samedi 25 juillet sur la Terre

Au lac, ce jour. Tandis que je lis les "Choses de l'amour", un chapitre fameux des fameuses Pensées d'une Amazone, un couple s'est mis à danser. 


 L'amour, cet héroïsme démodé.

En lisant cet aphorisme, je me suis dit que je pourrais aisément me qualifier d'héroïne démodée de l'amour : pour une fois, je pourrais m'apposer cette étiquette. Elle me plaît.


Et comment ne pas aimer l'amour qui, chaque jour, nous laisse insatisfaits ?

Seul me convient le climat de son corps.

Toi, - l'heureux malheur de ma vie.


Je songerais à éloigner mon livre des chats, et à le couvrir avant qu'il ne tombe en miettes.


Le corps, âme palpable.


vendredi 17 juillet 2020

Portrait d'un bouquiniste



Il boite à l'écart du monde
et seul, dans sa boutique sans âge
le bouquiniste dépoussière ses livres
les présente aux passants.

Sa main droite est atrophiée
c'est la main gauche qui oeuvre
patiemment, lentement, laborieusement.

Sa voix est douce et calme, un murmure
à peine audible
dans le brouhaha des contemporains.

Elle a quelque chose de passé
comme un livre rare et ancien.











Librairie sans chichi


Et pendant un temps suspendu, la passante s'adonne à la lecture de la correspondance de Lou Andréas Salomé.




mardi 7 juillet 2020

Une nostalgie de l'absence

Nous regardons toujours vers le passé. Même les souvenirs sans intérêts nous égayent parfois. Cette injonction à vivre dans le présent, à se focaliser sur le présent selon l'idée que le passé n'existe plus et que le futur n'existe pas encore, me paraît impossible. Je crois que ce qu'il y a de plus vivace dans le temps, c'est notre passé, tout ce que notre mémoire ressasse, de manière quasi-obsessionnelle, au fil des jours, au fil des sensations, ou des événements plus ou moins impromptus qui scandent notre chemin intranquille. Un mot, un parfum, un film, le titre d'un livre, une chanson, et nous voilà replongés à mille lieux du présent ; un présent qui s'estompe pour se tenir en arrière-plan, comme une simple rumeur, un bruit de fond, un paysage brumeux. Ainsi mes pensées se tournent souvent vers le passé : et ce sentiment de nostalgie (qui n'est qu'une forme particulière de mélancolie, à en lire Jean Starobinski) m'assaille régulièrement, m'étreint le cœur, habille mon âme. 


vendredi 3 juillet 2020

Journal d'une passante (rien de plus)

Aux lecteurs ou lectrices qui pensaient peut-être parcourir une suite au Journal d'une passante dans le confinement (genre : n°2), je n'ai aucune excuse. J'ai pour habitude l'inachèvement. Par ailleurs, les jours et les nuits défilent à une vitesse ordinaire : et le temps, et le goût manquent parfois souvent. Des périodes sans. 
Ecrire : pourtant. Ecrire, encore. Ecrire un peu, on y revient pour je ne sais quelle raison. Ecrire peut-être pour ne pas se sentir mourir, ou pour ne pas oublier.



Une passante ordinaire

lundi 30 mars 2020

Journal d'une passante dans le confinement (1)

Depuis un certain nombre de jours indéterminé, car voilà bien longtemps que j'ai cessé de calculer, je suis donc en confinement, comme un grand nombre de personnes sur la Terre. Au début, ce fut une très mauvaise expérience, car j'eus l'idée foireuse d'arrêter de fumer. Ce n'est pas le bon moment, m'a dit mon médecin traitant que j'ai consulté dans un état de fatigue assez importante, pensant que j'avais  contracté toutes les maladies infectieuses (genre le coronavirus) qui puissent exister, en plus de développer un double cancer des poumons et de la gorge. Rien d'inquiétant, cliniquement, m'affirma mon médecin. Peut-être es-tu allergique ? Je suis repartie avec une ordonnance pour du paracétamol et un antihistaminique. Je mets "asthénie" dans ton dossier, et il faudrait faire une analyse de sang, pour voir. Et puis, tu arrêteras de fumer plus tard.
Sage décision. Je refume de plus belle. Mais je suis moins dépressive et angoissée depuis. Fumer, dans certaines circonstances, aide à vivre. 


Entre deux cours en visioconférence avec les BTS (évidemment, je fais semblant de tenir un cours. Qui dans ces circonstances a envie de faire un cours ?), j'ai pensé que je pourrais reprendre un petit passe-temps d'écriture. Nous voilà sommés de ralentir le rythme ! Autant en profiter pour déposer ses humeurs et surtout : le vide de sa vie sur une page blanche de blog, adressée au néant. 
Je me remémore alors le temps pas si lointain, de quand j'étais une passante hors confinement.  


C'était une belle journée d'hiver. Le ciel bleu dans le mistral. Nous avons vagabondé jusqu'à Lacoste,  par des chemins improbables, là où vivait un spécialiste du confinement. Peut-être, allions-nous rencontrer son fantôme ? 

Un homme-arbre


Un homme-Alf-barbu-à-présent


Notre marquis de Sade



Un signe du printemps, tandis que nous tombons comme des feuilles mortes.

vendredi 14 février 2020

Du bon usage de la lenteur



" Flâner : prendre son temps, se laisser guider par nos pas, par un paysage.
Écouter : se mettre à la disposition d'une autre parole à laquelle nous accordons crédit.
L'ennui : non point l'amour de rien mais l'acceptation et le goût de ce qui se répète jusqu'à l'insignifiance.
Rêver : installer en nous une conscience crépusculaire mais alerte, sensible.
Attendre : afin d'ouvrir l'horizon le plus vaste, le plus dégagé possible.
La Province intérieure : la part fanée de notre être, une figuration de l'anachronique.
Écrire : pour qu'advienne peu à peu en nous la vérité.
Le vin : école de sagesse.
Moderato cantabile : la mesure plus que la modération. "



Et du bon usage de l'hiverintérieur


vendredi 10 janvier 2020

Une Histoire érotique

Jung entretient une relation sado-masochiste avec une de ses patientes tandis que sa femme l'attend assez sagement à la maison. Virginia Woolf écrit une lettre ultime, une lettre d'amour et d'adieu très émouvante à son mari, avec lequel elle n'a jamais eu de relations sexuelles. Lou Andreas Salomé accepte de se marier après menace de suicide de son prétendant, mais à la condition que le mariage ne soit jamais consommé. Par contre, Lou vit une passion charnelle avec le jeune Rilke. Anaïs Nin éprouve un plaisir intense lorsqu'elle couche avec son père. Marie Bonaparte ne pense qu'à une chose : comment ne plus être frigide.

Plein de détails croustillants émaillent la passionnante Histoire érotique de la psychanalyse de Sarah Chiche.
Mais ce que ces histoires sensibles, crues, tragiques ou follement passionnées racontent, c'est que les relations amoureuses et sexuelles des humains sont souvent hors normes (sociales et culturelles), en fin de compte, et que l'amour-haine entre les êtres peut se rencontrer sous des formes très diverses. 
Difficile alors, parfois, de trancher et de juger de ce qui est bien ou mal dans les comportements sexuels ou amoureux, tant souvent, on remarquera leur ambivalence : le bien et le mal étant obscurément mêlés. 

 

Sur ce, après avoir dîné en compagnie du Marquis de Sade,



 soyons philosophes : buvons un bon verre de Vin de Merde.