Je suis un hasard solitaire dans cet espace de pénombre et de rituels.
Miyó Vestrini, Grenade dans la bouche.
L'extrême contemporain, 2023.
Je suis un hasard solitaire dans cet espace de pénombre et de rituels.
Miyó Vestrini, Grenade dans la bouche.
L'extrême contemporain, 2023.
Puis, s'emmurer dans le silence, le retenir tout contre soi, tout contre, devenir sourd à la rumeur ambiante, briser le bruit. Couper le souffle quand tout tombe à l'eau, frissonner dans le brin d'air et renaître végétal. Donner de la voix au rien, vider la parole, ne plus dire une seule image, jeter l'encre et s'évanouir dans la nuit.
L'asile est toujours temporaire,
disent les ombres des fleuves et des rivières.
Un jour ou l'autre,
comme une idée qui se noie dans l'immensité,
le temps s'évanuit dans la brume.
Il n'y a plus d'asile où se réfugier,
mais un je-ne-sais-quoi-et-presque-rien,
peut-être tout un poème
qui demeure inaccessible
à la grande majorité.
J'ai aimé me promener vers la fin de l'été, quand les soirées étaient plus douces et la chaleur moins assommante, près du fleuve qui ressemblait, comme deux gouttes d'eau, à l'amour.
La tour de Babel m'apparaît bien loin dans mes souvenirs, et j'ai quitté tant de ciels.
A présent, je réside au bord d'un fleuve, à l'heure bleue, tout près de ma nuit.
Il faut peut-être avoir parcouru et médité assez longuement les idées qui ont traversé les mondes et les temps, pour pouvoir se dire un jour : l'intellectualisme est d'un ennui. De toute façon, on ne comprend rien à rien.
Le temps s'écoule au fil de l'eau, changeant de teintes au gré des moments, des pensées, des jours et des nuits : bleu ciel, vert végétal, nuit d'encre, gris nuage... C'est le fleuve et ses métamorphoses indécises.
Aujourd'hui, je me suis installée sur les rives d'une onde qui serpente vers l'amer, et souvent je me dis que jamais vent ne se ressemble : on ne se baigne jamais deux fois dans le même vent.
Je dérivais vers la pensée sauvage. Je faisais l'expérience de la pensée en images : celle qui ne disait mot. Une pensée silencieuse, pas bavarde. Une pensée qui n'interprète pas, qui ne définit rien. Une pensée insignifiante, une pensée imaginante, une pensée sans grammaire. Les images ont cet avantage sur les lettres : elles n'ont pas la prétention de dire quelque chose.
Je voyais une tête de monstre, là, au premier plan. Le profil d'une gargouille échappée de quelque légende urbaine surgissait là, soudain, sur ma route. Et la maison fumait un peu plus loin. La vapeur formait des vagues, des arabesques dans le jaunâtre de la nuit. C'était un serpent impalpable qui s'insinuait continuellement dans l'air froid et sec. Puis il se dispersait furtivement.
Les lampadaires baignent la nuit d'une lumière jaune. Ils exhalent une brume jaunâtre. Comme un dernier souffle dans l'atmosphère. Ceci, je ne le vois pas à l'oeil nu, je ne le pressens pas. C'est mon appareil numérique qui me montre un monde qui m'échappe. Il m'offre des perceptions nouvelles, un regard autre. Mais peut-être aussi, me permet-il de fixer un monde ou un moment, afin que la vision ne s'évanouisse trop vite. Une manière peut-être aussi de se relier, malgré soi, à des espace-temps qui paraissent sans cesse étrangers. Des endroits familiers qui s'étrangent cependant. C'est comme se rendre compte soudain, face à l'image, des géométries urbaines. Elles étaient là, pourtant, déjà là, mais encore inconscientes.
Un soir, j'ai cherché la beauté dans l'enlaidissement des lieux, dans les zones bétonnées, les urbanités, les lumières électriques, sur les murs, sous les lampadaires, à travers les grillages, derrière les portes souterraines, et les terrains vagues, et la désolation. Je pensais à la chanson de Gainsbourg. La beauté cachée des laids, des laids... se voit sans délai, délai. Il y avait quelque chose de géométrique. Par exemple, les poubelles d'une grande surface sont des parallélépipèdes rouges.
Sans ça, un joyeux 2022 en perspective.
Aujourd'hui, je pense beaucoup à JF. Quatre ans déjà. Et j'ai peut-être bien assez écrit sur le deuil etc. Mais ce jour, le réseau social facebook sur lequel on traîne de temps en temps (comme ailleurs), histoire de tromper l'ennui -- en vain, me rappelle comme chaque année que ce jour est son jour anniversaire.
Je me suis rendue sur son mur fantôme. Depuis la dernière photo postée, sur laquelle on peut l'apercevoir assis à la terrasse d'une maison exotique, les yeux dans le vague et le visage intranquille, il n'y a rien, rien d'autre, aucun signe de lui bien évidemment.
Sur fb, les vivants s'exhibent tandis que les morts conservent leur tombeau virtuel. Ils nous laissent quelques mots et images en souvenir, afin de raviver la peine, afin que l'on verse encore quelques larmes en se remémorant le disparu.
Je joue le jeu, comme quelques uns, de lui exprimer une pensée, d'envoyer une parole au frérot dans le néant. Je ne sais même plus son âge, j'ai arrêté de compter. Je sais seulement qu'il a quatre ans de mort, et que parfois, il vient à manquer tristement.
Paroles de Facteur Cheval