Parcourant la forêt ancienne, je remarquais la presque disparition des alliaires et la fin de la floraison des iris d'eaux. Les hellébores, violettes, cyclamens et pâquerettes avaient déserté les sous-bois. La mineuse, déjà, piquait les larges feuilles des marronniers. Les chèvrefeuilles odorants grimpaient vigoureusement ici et là. Les ronciers et leurs fleurs délicates promettaient de nombreuses mûres sauvages. Les ombelles de baies encore vertes pendaient aux branches des sureaux. Bientôt, elles allaient se teinter d'encre de Chine violacée. Les grandes bardanes se dressaient, altières et très amères. L'arôme des menthes aquatiques se propageait à foison. Les liserons rampants colonisaient des espaces de verdures. Et tant de simples encore, plantes communes et reines indigènes des lieux - telle l'armoise majestueuse, cousine de l'absinthe, ou les trèfles, les plantains, les rumex, les crépis, les pissenlits, les pulmonaires - s'épanouissaient généreusement. Et toujours, l'observation des cycles de vie et de mort de cette diversité végétale égaye mon âme, m'émerveille.
L'été est là, fidèle au rendez-vous. Cette année, la saison ingrate est magnifiée par les pluies orageuses. Il n'y a pas plus bel été. Pourvu que l'orage dure. Pourvu que la pluie tombe, encore.
En marchant dans ma forêt ancienne, je pouvais vérifier comme les pensées vont et viennent, fleurissent et fanent, croissent et décroissent au gré de mes perceptions et sensations. Parfois, elles donnent des graines. Parfois, les graines germent. Nulle maîtrise dans ce jeu, nous sommes les jouets de nos pensées facétieuses, éphémères, furtives et saisonnières.
En marchant, je ne pouvais que constater et apprécier le hasard, l'inattendu et l'imprévu de cette pensée qui saute et qui gambade, souvent sans queue ni tête. Il n'était pas désagréable, alors, de se laisser porter par des pensées qui n'en faisaient qu'à leur tête, mais qui s'inspiraient, ou qui surgissaient, d'une certaine manière, du lieu dans lequel je me dispersais : mes pensées entraient en correspondance avec ses bruits, ses parfums, sa faune, sa flore, etc.
En flânant dans ma forêt ancienne, il me plaît donc d'observer les cycles de vie et de mort des pensées. Des pensées et des saisons. Et l'été est propice aux pensées sauvages.
Finalement, ne pourrait-on pas distinguer deux formes de vie des pensées ?
Il y a la vie sauvage de la pensée, d'une pensée qui nous déborde, qui apparaît, virevolte et fuit, pareille aux libellules noires rencontrées le long du chemin et du ruisseau ; et il y a le raisonnement, cette tentative de domestication de la pensée, d'ordonnancement, de structuration des idées.
Le raisonnement est un exercice difficile, certes, mais contempler, se tenir vaguement disponible, dans l'accueil inconditionnel du mouvement ou de la flânerie des pensées n'est-il pas hautement plus difficile ? On pourrait se le demander.
Je musarde, donc je pense.