samedi 26 juin 2021

Musarder, comme les liserons.

Parcourant la forêt ancienne, je remarquais la presque disparition des alliaires et la fin de la floraison des iris d'eaux. Les hellébores, violettes, cyclamens et pâquerettes avaient déserté les sous-bois. La mineuse, déjà, piquait les larges feuilles des marronniers. Les chèvrefeuilles odorants grimpaient vigoureusement ici et là. Les ronciers et leurs fleurs délicates promettaient de nombreuses mûres sauvages. Les ombelles de baies encore vertes pendaient aux branches des sureaux. Bientôt, elles allaient se teinter d'encre de Chine violacée. Les grandes bardanes se dressaient, altières et très amères. L'arôme des menthes aquatiques se propageait à foison. Les liserons rampants colonisaient des espaces de verdures. Et tant de simples encore, plantes communes et reines indigènes des lieux - telle l'armoise majestueuse, cousine de l'absinthe, ou les trèfles, les plantains, les rumex, les crépis, les pissenlits, les pulmonaires - s'épanouissaient généreusement. Et toujours, l'observation des cycles de vie et de mort de cette diversité végétale égaye mon âme, m'émerveille.

L'été est là, fidèle au rendez-vous. Cette année, la saison ingrate est magnifiée par les pluies orageuses. Il n'y a pas plus bel été. Pourvu que l'orage dure. Pourvu que la pluie tombe, encore.




En marchant dans ma forêt ancienne, je pouvais vérifier comme les pensées vont et viennent, fleurissent et fanent, croissent et décroissent au gré de mes perceptions et sensations. Parfois, elles donnent des graines. Parfois, les graines germent. Nulle maîtrise dans ce jeu, nous sommes les jouets de nos pensées facétieuses, éphémères, furtives et saisonnières.

En marchant, je ne pouvais que constater et apprécier le hasard, l'inattendu et l'imprévu de cette pensée qui saute et qui gambade, souvent sans queue ni tête. Il n'était pas désagréable, alors, de se laisser porter par des pensées qui n'en faisaient qu'à leur tête, mais qui s'inspiraient, ou qui surgissaient, d'une certaine manière, du lieu dans lequel je me dispersais : mes pensées entraient en correspondance avec ses bruits, ses parfums, sa faune, sa flore, etc.

En flânant dans ma forêt ancienne, il me plaît donc d'observer les cycles de vie et de mort des pensées. Des pensées et des saisons. Et l'été est propice aux pensées sauvages.

Finalement, ne pourrait-on pas distinguer deux formes de vie des pensées ? 
Il y a la vie sauvage de la pensée, d'une pensée qui nous déborde, qui apparaît, virevolte et fuit, pareille aux libellules noires rencontrées le long du chemin et du ruisseau ; et il y a le raisonnement, cette tentative de domestication de la pensée, d'ordonnancement, de structuration des idées. 

Le raisonnement est un exercice difficile, certes, mais contempler, se tenir vaguement disponible, dans l'accueil inconditionnel du mouvement ou de la flânerie des pensées n'est-il pas hautement plus difficile ? On pourrait se le demander.



Je musarde, donc je pense.

samedi 19 juin 2021

Tentative de never définition de la poésie - never

Ce soir c'était un whisky

Eau Ambre merveilleuse

Pierre précieuse enivrante

Instant de non-délit délicieux

Fête de l'oubli des jours laborieux

Restaurant chinois-coréen en amies

Ambiance post-extrême-orientale

Parfums couleurs familiers-étrangers

Je savoure un air libre. 

Naufrage à bord des pensées sans grammaire.



J'ai lu et écouté toutes les tentatives passé-présent-futur d'une définition de la poésie : 

je ne sais pas ce que la poésie veut dire, lorsqu'elle prétend signifier.

Il y a trop et pas assez de poètes sur la terre. 


Je ne suis pas un poète, et encore moins une poétesse.

Je ne suis pas auteur, autrice, écrivain, écrivaine, ou que sais-je encore.

Je n'ai rien lu.


Sauf Héraclite qui dit par la bouche d'Heinz Wismann que tout discours contient sa contradiction,

et qu'en ce sens, il ne coïncide jamais avec le réel.


La parole d'un poète vrai, s'il en existe un, est une allusion. Et souvent, une illusion.


Je ne suis pas un poète avant-gardiste : je me tiens à rebours.

Je pérégrine dans les reflets.

Je suis classique sans être classique et je n'ai pas d'opinion.

Les opinions sont encore plus ennuyeuses que mon ennui.

Je n'ai aucune position, je n'ai pas d'avis impératif, je suis comme un marin des cafés de la gare.

J'empreinte des arbres en stationnement illicite pour monter au 7è ciel : compartiment fumeur SVP.

Je suis militante des droits du rien. 

La contemplation du déclin me suffit.

J'écris depuis l'ombilic des limbes.

J'aime, c'est déjà ça : je suis une amoureuse démodée.

Et seul le climat de son corps me convient.




jeudi 17 juin 2021

Rêveries d'une passante solitaire

Dernier jour de cours pour moi, je vais clore cette année scolaire placée sous le thème de la musique avec Accords et désaccords, l'excellent film de Woody Allen. Je suis à peu près certaine que les jeunes ne le connaissent pas, et je ne suis pas certaine qu'ils apprécient. Néanmoins, qui sait ?

Souvent, je suis gagnée par la lassitude d'enseigner. Lassitude qui augmente lorsque l'on approche l'été et la chaleur étouffante. Les cerveaux, déjà peu remplis en général, semblent encore plus se vider à la fin de l'année scolaire. Il n'y a plus que leurs écrans qui les intéressent, pour une grande majorité. Leurs écrans, leurs réseaux sociaux, leurs films ou séries Netflix, et quoi d'autres ? Je ne voudrais pas insinuer qu'ils n'ont pas de culture, ni brosser un portrait trop négatif de ces jeunes à qui j'essaie d'enseigner quelques compétences rédactionnelles, de transmettre quelques connaissances en "culture générale", d'éveiller un peu leur curiosité, de tenter de leur faire réfléchir sur le monde et sur eux-mêmes, de construire avec eux un regard critique et réflexif, d'insuffler un peu de poésie, etc., mais ils sont en fin de compte bien peu - une grande minorité, à s'intéresser à ce qui sort de leur ordinaire : de leur "zone de confort", comme on dirait de nos jours, expression managériale des plus à la mode aujourd'hui... (On la sort et la répète à toutes les sauces, mais sait-on vraiment ce qu'elle signifie ?) 

Peut-être, exprime-t-elle bien, finalement, quelque chose de l'humaine condition : quelque chose d'une fausse profondeur. Une profondeur superficielle. Une expression qui prétendrait être d'une profonde intelligence, qui en donnerait l'illusion en tout cas, à celui qui en userait. 

Pour ma part, je peine de plus en plus à sortir de ma zone de confort. 

Ma zone de confort, ce sont mes éternelles rêveries. Mes rêveries au bord des eaux. Et je relis actuellement la préface de L'Eau et les Rêves de Gaston Bachelard. Je crois par ailleurs qu'il n'y a pas plus poète que ce philosophe :

"On rêve avant de contempler. Avant d'être un spectacle conscient tout paysage est une expérience onirique. On ne regarde avec une passion esthétique que les paysages qu'on a d'abord vus en rêve."

N'y a-t-il pas plus joli renversement ? 


La peine de l'eau est infinie. Je retrouve toujours la même mélancolie devant les eaux dormantes, une mélancolie très spéciale qui a la couleur d'une mare dans une forêt humide, une mélancolie sans oppression, songeuse, lente, calme. En ce qui touche ma rêverie, ce n'est pas l'infini que je trouve dans les eaux, c'est la profondeur. L'eau anonyme sait tous mes secrets. Une goutte d'eau puissante suffit pour créer un monde et pour dissoudre la nuit.

mercredi 16 juin 2021

lundi 14 juin 2021

Pourquoi reprendre quelque chose plutôt que rien ?

Reprendre l'écriture là où elle s'est arrêtée

Reprendre le train à rebours, compartiment fumeur svp

Reprendre un chemin d'à côté, celui des feuilles mortes

Reprendre des tartines de pesto d'alliaire fait maison

Reprendre un ou deux verres de Riesling

Reprendre des kilos de cellules émotionnelles

Reprendre le fil de la non-histoire

Reprendre là où l'écriture ne s'est jamais arrêtée

Reprendre un goût de nuit et de lointain

Reprendre un café et un carré de chocolat noir

Reprendre une cigarette ou deux aussi

Reprendre depuis le début et surtout depuis la faim

Reprendre un peu de vanité, tout est vanité



Le déclin du jour

 




Je contemple le déclin magnifique du jour. Je voudrais immortaliser la chute du jour.



L'ascension de la nuit.

Retenir l'éclosion de la nuit.

Un jour, la nuit éclot.




Et mesurer le temps du ciel est vertigineux.

mardi 8 juin 2021

in absentia





J'ai pris le train à reculons,

j’ai pris le train en marche arrière.

Quai des brumes

Gare aux réminiscences

Départ pour les contresens

Contrées disparues – lieux communs – histoires ordinaires.

Mondes à trop grande vitesse

Je n’ai pas vu les années passer – un comble pour une passante.




Il était un jour, j'ai embarqué à bord d’un TER

(Train de l’Éternel Retour)

- Train fantôme de l'extrême Orient Express -

pour remonter dans la nuit des temps.

Sens inverse

Demi-tour

À rebours.

Voyage à l'envers du décor,

intérieur à contre-courant.

Blaise, dis, sommes-nous encore loin du passé antérieur ?



Elly, il n'y a plus de compartiments fumeurs.



Grenoble – Chambéry – Annecy – Cluses

C’est mon Transsibérien, mon trajet sensible,

mon train de vie très passé.

A contre-jour

Encore une éternuité qui s'est écroulée avant que je ne prenne un billet de non-retour.

Échappée belle 

Au cœur des ténèbres : vers les pays des monts et des lacs.

Pause – arrêt – arrivée de toujours – méditation au Café de la Gare.

Là-bas,

une ado d’autrefois attendait encore,

et ô combien de cafés, combien de cigarettes, combien d'heures suspendues.





lundi 7 juin 2021

Couler dans les paradis virides

 


Plus que la mer, j'aime le lac et ses rivières. Sans doute parce que cela me rappelle ces joyeuses virées au lac, en famille et entre amis, ces longues virées à la journée, de ces étés insouciants, où nous étions plusieurs enfants à apprendre à se noyer. Nous jouions à former une ronde en nous tenant par la main, et nous avancions petit à petit jusque là où nos pieds ne touchaient plus le sol. Puis, nous délions nos mains, puis nous nagions jusqu'à la rive. Sauf que, je ne savais pas nager. Après avoir bu une belle tasse d’eaux troubles, heureusement des bras m'avaient saisie pour me ramener à la surface. Sur la plage, encore sous le choc de l’émotion, nous étions deux marmots à penser que couler fait une drôle de sensation. Et depuis ce jour, je sais bien couler.

mercredi 2 juin 2021

La révolution d'un seul brin de paille



Il est des livres posés au chevet de ma pensée, tel celui de Masanobu Fukuoka, faussement en dormance, mais agissant silencieusement, sans manifestations criantes.

Il est étrange alors de constater le cheminement tâtonnant de la pensée. Elle m’apparaît souvent comme une forme sans forme, comme une entité qui se meut en sourdine et qui parfois, fait parvenir à la conscience – comme sautant du coq à l'âne, dans un je ne sais quoi d'irrationnel, sans logique, mais sans doute de manière analogique : des associations libres, semble-t-il… (C'est dire un peu que la pensée n'est pas seulement affaire de conscience, mais qu'elle a quelque chose d'un inconnu évident, d'un processus inconscient.)

Ainsi, pensant ce lien indéfectible qui unit les êtres parlants au besoin de sens, à ce besoin de donner un sens à leur vie, comme on dit, ou de tout expliquer, croyant comprendre énormément de choses même ce qui dépasse l’entendement ; il m'est resurgi ce bon vieux livre du cultivateur « sauvage » que fut Masanobu Fukuoka, celui qui prônait un non-agir en agriculture, une ré-alliance aussi entre agriculture et spiritualité, un humble retour à la terre, chacun avec son bout de terre pour (se) cultiver et (se) méditer, en simple compagnie, voire peut-être en symbiose – qui sait ? avec la nature. Là où toute théorie deviendrait presque futile…

Me revenait alors ce passage où il expliquait que les paysans du 20eme siècle, devenus agriculteurs de grandes surfaces, n'avaient plus guère le temps de chasser le gibier durant la saison froide, ou (pire encore) de composer des haïkus. La dimension poétique (ou spirituelle) ne nourrissait plus l'âme de celui qui cultivait la terre pour « produire » de la nourriture, à foison, comme il en était convenu désormais, des fois qu'il s'enrichirait.

Une perte pour un gain ? Ou une perte pour une perte ?

Peut-être faudrait-il retenir et méditer ce conseil de M. Fukuoka : « Si l'on ne cherche plus à manger ce qui est agréable au goût, on peut goûter la vraie saveur de tout ce que l'on mange. »

(2017)


Images d'un passé bucolique