mardi 29 septembre 2020

Chat mélancolique

 


Quand vous grandissez entouré de fantômes, quand une des deux personnes qui vous a donné le jour est repartie dans la nuit, et que vous ne vous souvenez pas l’avoir vue, ni vivante, ni morte, il en résulte un certain sentiment d’étrangeté au monde qui n’empêche pas la joie, ni les grands bonheurs de l’enfance, mais qui tout de même est là, et tapisse de nuit tout ce que vous regardez. Cela modifie votre façon d’être dans le monde, et je crois que cela crée les conditions d’une écriture : une écriture qui admet la nuit, qui ne refuse pas l’obscur, et c’est ce que je voulais raconter sur la mélancolie.(…) On ne fait pas son deuil, c’est une expression abominable, mais on fait avec le deuil, et on est fait par le deuil. Certains s’en remettent, mais il arrive que d’autres se laissent mourir avec leur mort, dans leur mort, et n’en reviennent pas. Et puis certains en reviennent, mais demeure en eux, une béance, un blanc. 
Sarah Chiche

vendredi 25 septembre 2020

Même

 Le plus autobiographique des écrits est une fiction, autrement dit une affabulation. Quand écrivons-nous vrai ? Y a-t-il une possibilité d'écrire "vrai" ? Ou est-ce toujours un jeu de voilement-dévoilement ? 
Pendant des mois, je suis revenue vers une écriture de l'intime, dans des carnets de papiers, une écriture qui ne s'adresse qu'à soi, qu'aux nombreux personnages qui nous composent. Tout ce que j'observe, c'est l'inconstance : l'inconstance des pensées, des opinions, des sentiments. Tout change et évolue sans cesse, avec parfois des retours en arrière, à une forme de pensée originelle, mais pour mieux la métamorphoser, ou la sculpter, l'habiller de couches successives de mots qui s'ajoutent, se nuancent, se contredisent souvent, et se questionnent parfois. Se relire est donc un exercice étrange, on observe cette étrangeté de soi, cette inconstance de soi, cette précarité d'un moi jamais véritablement uni, un moi qui se décompose ou qui se compose d'un kaléidoscope de voix. On comprend alors que le chemin vers la connaissance de soi se poursuit toujours, on poursuit le chemin jusqu'au cœur des ténèbres : là où la parole se tait, là où règne le silence, le non-savoir, l'absence peut-être, ou une absence peuplée. Le paradoxe.
Ce matin, je lisais une spécialiste de sanskrit et de la culture indienne. Une idée a alors retenu toute mon attention. Dans la culture sanskrite, la parole est d'une importance sacrée : tout naît de la parole. Et parallèlement : du silence naît la parole. La parole prend forme dans le silence, comme elle finit par s'en retourner au silence. 



jeudi 24 septembre 2020

L'automne, toujours

J'habite une saison automnale, une saison des pluies, le fleuve des hommes et des femmes se jetant à l'amer, une tour de Babel, et la forêt ancienne.
J'habite un lieu traversé de langues, de chuchotis et de rumeurs, une langue maternelle dans la peau. J'habite l'automne, toujours. Je suis comme les hommes et les femmes de la rivière, de passage, au carrefour des vents. Je suis née d'une nuit et d'une mousson. Je mourrais peut-être le cœur sec. Je n'aurais plus faim, je n'aurais plus soif, j'habiterai la poussière du temps.



Un automne ancien (2015)