mercredi 26 juin 2019

Rêveries musicales



J'en suis toujours à courir après le temps : cette maladie du siècle. C'est ainsi que je passe beaucoup de temps à ne rien faire, dès que possible. A rien faire, c'est à dire à flâner dans les livres, à dormir, à paresser et à me livrer à quelques rêveries notamment musicales. Je passe ainsi des heures immobiles, à contempler le déclin du jour par exemple. Et hier soir, je sombrais, de nouveau, dans les chansons si poétiques, si sensibles, si intelligentes de Brigitte Fontaine. Derrière son air farfelu, elle est, à mon goût, une des plus grandes philosophes contemporaines : elle compose les plus belles chansons d'amour que je connaisse.

11 commentaires:

  1. Décidément, entre Jacques Brel et Brigitte Fontaine, quelles découvertes, grâce à vous !

    De la chanson de Brel, seul le poème me touchait vraiment : celle-ci est tout entière émouvante.

    Peut-on ne pas faire pour Brigitte Fontaine ce que l’on a fait pour Jacques Brel : vous en jugerez.(Il y a quand même un chat trouvé qui ronronne qui fait signe à votre précédent billet.)

    À vous,

    R.V.


    Profond profond jusqu'aux enfers
    Nous nous melons rivière et mer
    Fondus comme l'argent et l'or
    Je t'adore dedans dehors

    Tu es mon bourreau ma victoire
    Nuit de noce maison du crime
    Tu es mon terrible tyran
    Et mon naïf petit enfant

    Nous avons connu des merveilles
    Des dragons et des nuits de veille
    Nous avons connu mille morts
    Et résurrections à l'aurore

    Dans ta chair compacte et si bonne
    Au chaud parfum de cardamome
    Je me blottis et je frissonne
    Comme un chat trouvé qui ronronne

    Je ne sais pas pourquoi tu m'aimes
    Et pourquoi moi la milliardième
    Ce qu'il y a de moi à toi
    Quel trésor tu peux voir en moi

    Nous avons connu des merveilles
    Des dragons et des nuits de veille
    Nous avons connu mille morts
    Et résurrections à l'aurore

    Parfois j'oublie jusqu'à ton nom
    Tu es un meuble un bruit de fond
    Puis tu te dresses scintillant
    Vainqueur comme un soleil levant

    Souvent mon cœur pleure et se hait
    Pour tout le mal que je t'ai fait
    Puis je deviens sauvage et dure
    Au souvenir de mes tortures

    Nous avons connu des merveilles
    Des dragons et des nuits de veille
    Nous avons connu mille morts
    Et résurrections à l'aurore

    Quelquefois la fusion exquise
    D'un frôlement comme une brise
    Est si forte que je pourrais
    M'évanouir si je voulais

    Mais j'aime mieux goûter encore
    Tous les prodiges de ton corps
    Me noyer dans la griserie
    Qui fait que pour toujours je ris

    Brigitte FONTAINE / Areski BELKACEM

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    1. Bien sûr, c'est toujours un grand plaisir que de lire l'émouvante Brigitte Fontaine !
      (Bien vu pour le chat qui ronronne...)

      Merci de cette attention et de votre visite en ces lieux caniculaires (après l'orage).

      Belle journée à vous.

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  2. Redevenons des culs de fées!

    Ecouter Brigitte Fontaine pendant la canicule, c'est pas si con.

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    1. Dans quelle chanson se trouve cette élégante expression ?

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    2. La première dans "just you and me" Madame la spécialiste.

      La deuxième, à l'inverse, n'a rien d'élégant.

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  3. Erratum

    J’ai collé les paroles un peu vite : même si melons va bien avec ce bel été, il faut évidemment, je le précise pour vos lecteurs anglophones, lire mêlons :

    Profond jusqu'aux enfers
    Nous nous mêlons rivière et mer
    Fondus comme l'argent et l'or
    Je t'adore dedans dehors


    R. V.

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  4. Un bel "aveu" d'une expérience de la vacuité qui sonne comme un vœu de vacuité. C'est une expérience du vide propice à l'acte créatif, une expérience d'une autre temporalité hors du temps chronophage de la mise au travail généralisé de la jouissance.

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    1. C'est exactement cela : un vœu de vacuité... pour une autre jouissance (?)
      Un "luxe" dit ma psychanalyste.

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  5. En cherchant, je suis tombé sur ce site (https://greatsong.net/PAROLES-BRIGITTE-FONTAINE,JUST-YOU-AND-ME,221280.html), où l’on trouve les paroles et la chanson Just you and me.

    Il faut se méfier de ces sites qui rendent très imparfaitement les paroles des chansons : quand ils n’oublient pas les accents circonflexes, ils changent le texte. Ainsi, là où la chanson dit « Nos culs de cochons » (à 2’35, environ), le site traduit « culs de bouffons ».

    « Cul de fée » peut paraître rude mais c’est un compliment, « post-orgastique », en quelque sorte. Où il ne s’agit d’ailleurs pas tant du cul que du sexe des filles. C’est ainsi que les garçons du prolétariat parisien, quand il existait encore, au moins jusqu’à la fin des années 80, exprimaient à leurs maîtresses l’éblouissement que leurs amours leur inspiraient, quand ils pouvaient en reparler, après qu’elles les aient laissés sans voix ; ou qu’ils les évoquaient, dans le bistrot de la rue Véron (https://www.montmartre-secret.com/article-rue-veron-montmartre-2eme-partie-emile-henry-mono-122131588.html), rue historique de dissidents, où j’habitais alors, et où Areski, me semble-t-il, en tenait un autre, mais à l’autre bout de la rue.

    On tente toujours de traduire ce merveilleux comme on peut, même si on a peu de moyens : la fée révèle que quelque chose d’extra-ordinaire vient d’avoir lieu. Mais, comme vous le disiez, le temps manque le plus souvent, on a d’autres choses à faire, qui ne laissent pas le choix.

    « Cul de cochon » quand à lui correspond à l’autre aspect, torturé-torturant, de la sexualité, où il n’est plus question d’accord féerique et inattendu mais où il s’agit, toujours selon l’argot, de plus ou moins rapidement « tirer un coup ».

    Je crois que Brigitte Fontaine à la suite d’une expérience amoureuse heureuse a dû être surprise et par la chose et par le compliment, et qu’ensuite, dans l’insouciance légère des amants que caresse la grâce, elle s’est approprié l’expression dans cet hymne à l’insouciance et à la gloire amoureuses… Just you and me, palais de rire, nouveau pays du sourire, loin du péché, loin du cafard, champagne, orchidées, seuls, loin du monde… comme le chantent tous les amants, heureux amants, tandis que le monde les attend au tournant et ne les laissent pas souvent longtemps dans l’éblouissement.

    J’ai suivi le conseil que donnait Stéphane, et j’ai laissé se dérouler la « play-list » sur le site que je vous indiquais : si vous avez un moment, je vous recommande le voyage. Entre autres perles, j’ai découvert : « Je suis décadente » (1964) (https://greatsong.net/PAROLES-BRIGITTE-FONTAINE,JE-SUIS-DECADENTE-LA-CONCIERGEGAMBERGE,221284.html#autoplay)

    Je vous laisse la découvrir, si vous ne la connaissez pas. Le texte (« le désespoir c’est pas sain » etc.) ne peut sans doute rien pour soulager la grande mélancolie, mais je pense qu’un jour seulement un peu gris, il peut suffire à vous réconcilier avec le genre humain.

    C’est ainsi : le désespoir n’est certainement pas sain mais son expression, philosophique ou poétique, lorsqu’elle est raffinée, réconcilie avec la vie : c’est ce qui fait le charme des penseurs tristes, et c’est d’ailleurs chez l’un d’entre eux que j’ai fait votre connaissance, il y a sept ans maintenant.

    J’ai parlé de la poésie de Brel et de Fontaine, mais je ne voulais pas oublier de vous dire que si je suis votre fidèle lecteur depuis cette époque, c’est bien sûr pour votre poésie, parfois triste, elle aussi, mais toujours raffinée et délicate.

    Ce qui est beau et rare.

    Qui vous vaut d'être appréciée par les penseurs tristes… mais par les autres aussi…

    À vous,

    R.C. V.

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    1. Un grand merci pour toutes vos précisions sur ces expressions de Brigitte Fontaine. Je connaissais, en fin de compte, cette chanson, "Just you and me" - une belle invitation à aimer et à fuir - qui figure sur un de ses derniers albums. Mais je l'avais un peu oubliée.
      Par contre, "Je suis décadente" est bien sûr une de mes préférées, écrite cependant par Boris Vian, si ma mémoire est juste.

      Pour pallier les erreurs de retranscription des chansons de Brigitte Fontaine, notamment sur le site greatsongs.net, je peux vous recommander son recueil "Mot pour mot" (https://www.lesbelleslettres.com/livre/1880-mot-pour-mot).

      Enfin, j'aimerais vous remercier encore, pour vos chaleureux commentaires ici, et vous dire que je suis très touchée par votre appréciation de ma poésie.

      Une belle soirée à vous !

      (Du vent, ce soir, pour mettre un terme à cette canicule harassante, et peut-être les éclairs viendront illuminer la Nuit des amoureux-amants idylliques.)

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