vendredi 6 septembre 2019

L'adieu au village et tout et tout

Sur le divan de la salle des entretiens avec ma psychanalyste, nous en étions venues à la conclusion que j'avais fait de grandes "avancées significatives" depuis une année (je suis une patiente idéale, paraît-il, aussi nous nous entendons très bien...) et surtout, j'avais pris la deuxième meilleure décision qui soit, celle de stopper net ce projet harassant et insensé d'écrire une thèse, n'en déplaise à mon directeur. Quelle liberté retrouvée ! Quelle légèreté ! Je vais pouvoir jouir de mon temps perdu - retrouvé, pour flâner en terres d'écriture et de lecture : et rêvasser le plus souvent possible.
Mais la première meilleure décision fût de quitter ma vie antérieure, du temps où j'étais paysanne, et tout ce qui allait avec. 

Juillet 2017

En ce temps là, j'avais noté sur le frigo de ma vieille cuisine, dans cette grande maison de pierres où je vécus presque vingt ans, cette phrase de Ridan (le chanteur) : "Et si le blé m'file du bonheur, je m'ferais peut-être agriculteur."
Mais c'était refuser de voir l'orage qui planait sur les champs de blé. 
Aussi idéal fût-il, notre projet de retour à la terre était bancal et voué à l'échec dès les commencements. C'est que, trop souvent, les histoires d'amour finissent mal.

juillet 2017

Si je pars, je quitte ; et je quitte donc le bel endormi. Le livre se termine, une autre histoire s'écrit.

Mirage d'un hiver passé

Il aura donc fallu que vingt années s'écoulent, tout de même, pour que je renoue avec mes premières amours, ma vie de bohème.
A présent, au septième ciel de ma tour de Montaigne, je peux relire Ma bohème, ce poème qui a laissé une empreinte rêveuse en mon âme et mon corps, dans mes plus jeunes années de collégienne. Je peux aussi espérer avoir pris la troisième meilleure décision de mon existence : celle, entre autre, de répondre à une invitation au voyage.

Vers les forêts anciennes, et ailleurs.


"Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté."

9 commentaires:

  1. Il est vrai que les histoires d'amour (mais font-elles véritablement histoire?) finissent comme elles ont commencé: mal. Nager dans le bonheur, disait Lacan, c'est jouir du malheur. C'est une définition humoristique du masochisme inconscient qu'il n'est pas si facile de couper avec les ciseaux de la parole.
    Ensuite déjouer l'instance surmoïque qui, pour notre bien, nous dissuade de cheminer vers le désir inconscient inaccessible.
    Aller résolument vers le scandale du désir (ce qui ne correspond ni à image idéale du moi ni à un idéal du moi. Voilà l'exhortation de la vie vivante: partir, voyager, rêver, lire/écrire/lire ...
    Bonne chance à la bohémienne retrouvée.

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    1. Il reste quand même assez difficile et compliqué de déjouer l'instance surmoïque...
      Quant à l'amour, ah ! L'amour ! Comment s'en passer ? C'est impossible : le mystère reste entier... Et Lacan, je crois, quoi qu'il en dise, ne s'en privait pas.

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  2. Un beau poème d'Ingeborg Bachmann:
    .
    La Bohême est au bord de la mer



    Si les maisons par ici sont vertes, je peux encore y entrer.
    Si les ponts ici sont intacts, j’y marche de pied ferme.
    Si peine d’amour est à jamais perdue, je la perds ici de bon gré.



    Si ce n’est pas moi, c’est quelqu’un qui vaut autant que moi.



    Si un mot ici touche à mes confins, je le laisse y toucher.
    Si la Bohême est encore au bord de la mer, de nouveau je crois aux mers.
    Et si je crois à la mer, alors j’ai espoir en la terre.



    Si c’est moi, c’est tout un chacun, qui est autant que moi.
    Pour moi, je ne veux plus rien. Je veux toucher au fond.



    Au fond, c’est-à-dire en la mer, je retrouverai la Bohême.
    Ayant touché le fond, je m’éveille paisiblement.
    Resurgie, je connais le fond maintenant et plus rien ne me perd.



    Venez à moi, vous tous Bohémiens, navigateurs, filles des ports et navires
    jamais ancrés. Ne voulez-vous pas être bohémiens, vous tous, Illyriens,
    gens de Vérone et Vénitiens ? Jouez ces comédies qui font rire



    Et qui sont à pleurer. Et trompez-vous cent fois,
    comme je me suis trompée et n’ai jamais surmonté les épreuves,
    et pourtant les ai surmontées, une fois ou l’autre.



    Comme les surmonta la Bohême, et un beau jour
    reçut la grâce d’aller à la mer, et maintenant se trouve au bord.



    Ma frontière touche encore aux confins d’un mot et d’un autre pays,
    ma frontière touche, fût-ce si peu, toujours plus aux autres confins,



    Bohémien, vagabond, qui n’a rien, ne garde rien,
    n’ayant pour seul don, depuis la mer, la mer contestée,
    que de voir
    le pays de mon choix



    Traduction Françoise Rétif. Cette traduction (avec quelques légères différences) est parue dans le numéro que la revue Europe a consacré à Ingeborg Bachmann, numéro 892-893 Août-septembre 2003, p. 32.







    Böhmen liegt am Meer



    Sind hierorts Häuser grün, tret ich noch in ein Haus.
    Sind hier die Brücken heil, geh ich auf gutem Grund.
    Ist Liebesmüh in alle Zeit verloren, verlier ich sie hier gern.



    Bin ich’s nicht, ist es einer, der ist so gut wie ich.



    Grenzt hier ein Wort an mich, so laß ich’s grenzen.
    Liegt Böhmen noch am Meer, glaub ich den Meeren wieder.
    Und glaub ich noch ans Meer, so hoffe ich auf Land.



    Bin ich’s, so ist’s ein jeder, der ist soviel wie ich.
    Ich will nichts mehr für mich. Ich will zugrunde gehn.



    Zugrund – das heißt zum Meer, dort find ich Böhmen wieder.
    Zugrund gerichtet, wach ich ruhig auf.
    Vor Grund auf weiß ich jetzt, und ich bin unverloren.



    Kommt her, ihr Böhmen alle, Seefahrer, Hafenhuren und Schiffe
    unverankert. Wollt ihr nicht böhmisch sein, Illyrer, Veroneser,
    und Venezianer alle. Spielt die Komödien, die lachen machen



    Und die zum Weinen sind. Und irrt euch hundertmal,
    wie ich mich irrte und Proben nie bestand,
    doch hab ich sie bestanden, ein um das andre Mal.



    Wie Böhmen sie bestand und eines schönen Tags
    ans Meer begnadigt wurde und jetzt am Wasser liegt.



    Ich grenz noch an ein Wort und an ein andres Land,
    ich grenz, wie wenig auch, an alles immer mehr,



    ein Böhme, ein Vagant, der nichts hat, den nichts hält,
    begabt nur noch, vom Meer, das strittig ist, Land meiner Wahl zu sehen.




    Ingeborg Bachmann, Gedichte 1964-1967, I, 167f.

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    1. Merci pour le partage de ce poème vraiment très beau. Une poétesse que j'aimerais lire plus !
      Belle journée à toi.

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  3. Ah, cette fulgurance baudelairienne… Et de poursuivre enjoué – et même plus que cela :

    « …
    Des meubles luisants,
    Polis par les ans,
    Décoreraient notre chambre ;
    Les plus rares fleurs
    Mêlant leurs odeurs
    Aux vagues senteurs de l’ambre,
    Les riches plafonds,
    Les miroirs profonds,
    La splendeur orientale,
    Tout y parlerait
    A l’âme en secret
    Sa douce langue natale. »

    Et si, pour reprendre les Rita Mitsouco, les histoires d’amour finissent mal « en général », il convient de souligner justement ce « en général » qui perfore toute la chanson - un peu à la manière dont il faut relever ce « comme » (maître et possesseur de la nature) cartésien… Et se dire que rien n’est écrit ; que la fatalité en la matière n’existe que dans nos têtes…
    Tous les possibles à portée de cœur ! …

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    1. Poursuivons le voyage, donc :

      « Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
      Luxe, calme et volupté.

      Vois sur ces canaux
      Dormir ces vaisseaux
      Dont l’humeur est vagabonde ;
      C’est pour assouvir
      Ton moindre désir
      Qu’ils viennent du bout du monde.
      – Les soleils couchants
      Revêtent les champs,
      Les canaux, la ville entière,
      D’hyacinthe et d’or ;
      Le monde s’endort
      Dans une chaude lumière.
      ... »

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  4. Belles photos, en particulier à mes yeux, celle du champ de céréales où s'agite une folle avoine sous un ciel superbe.
    Elle rêvait de prairies amoureuses…
    J'attends la suite.
    Bien à toi, chère Elly.

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  5. Oui ces images sont très belles. Pour ce qui est de la thèse, ayant vécu quelques années avec une doctorante, qui bien des années après est toujours mariée avec sa thèse, je crois savoir que cela engendre des névroses bien singulières (entre autres celles relevant de la relation avec le directeur de thèse).. La sensation de liberté retrouvée c'est formidable. Voilà une cure qui semble générer de grands changements et c'est quand même à ça que ça sert aussi. bon vent donc...

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